Communication bienveillante… c’est bien joli mais comment faire quand la surenchère et les comparaisons sont le modèle de base de toute une société ? quand le leitmotiv humain est le « parlez-moi d’moi y a qu’ça qui m’intéresse » ?
Communication bienveillante : mettez un temps les comparaisons et la surenchère de côté
Une telle, appelons-là Anne, dit qu’elle a perdu son frère, qu’il a disparu, que celui qu’elle chérissait tant n’est plus. Alors, non parce que celui-ci est mort et enterré, non. Mais parce qu’il n’est plus celui qui s’occupait d’elle dans sa tendre enfance, qu’il n’est plus non plus celui qui faisait des jeux de société et des jeux en ligne avec ses frères et sœur à l’âge adulte, qu’il n’est plus celui avec qui elle pouvait parler pendant des heures, celui-ci n’est plus, il est devenu autre tout en étant en vie, il a fait sa vie ailleurs, autrement.
Telle autre, appelons-là Juliette, dit qu’elle a perdu son père, qu’il a disparu, celui qu’elle aimait si fort, que son père est lui bien mort et enterré et qu’il lui manque terriblement. Et à ce titre, elle se dispute fort avec Anne et refuse à cette dernière la possibilité d’exprimer sa souffrance. Souffrance qui selon elle ne pourra jamais égaler la sienne, sa peine, sa douleur personnelle, son immense chagrin car elle, oui elle, elle elle sait ce que c’est que de perdre un être cher.
« Non mais tu ne sais pas de quoi tu parles ! Les mots ont un sens !!
Ton frère est en vie. Tu peux le voir quand tu veux, tu peux l’appeler.
Mon père est mort. Je ne le reverrais plus jamais.
Les mots ont un sens, merde !!! »
Un sens profond qui reste, oui, et qui varie en même temps d’une personne à une autre (par méronymie) selon le vécu, les expériences de chacun, selon les mémorisations physiques et psychiques au cours d’une vie.
Du coup, toi t’es-toi ou toi tais-toi ? dans une communication bienveillante…
Comparaison et surenchère, les maîtres mots de la plupart des échanges humains
Est-il possible de nier à ce point le deuil du vide à combler que chacun a à faire au cours de sa vie, en fonction de chaque situation ? Avec la comparaison en surface et la surenchère, oui, toujours. C’est comme si l’autre n’existait pas, ou comme si l’autre n’avait pas droit à la parole.
Toi ? Tais-toi.
Ou dans un autre genre, c’est moi qui ai la plus grosse donc toi, pouet pouet camembert, hein… (lien vers une vidéo tout ce qu’il y a de savoureuse, dans son genre !)
Comment éviter ce piège, l’écueil de celui « qui a la plus grosse » ou de celui qui pisse le plus loin ? parce que vu par les Monty Python (vidéo en lien ci-dessus) c’est très drôle, mais au quotidien, ça peut devenir lassant, quand ce n’est pas frustrant si l’on ne comprend pas bien, si l’on n’a pas intégré ce qui se trame en dessous de tout ce déballage.
Faut-il avoir subit les pires tortures mentales et physiques pour avoir le droit de s’exprimer ? et encore ! car au final, il y a toujours pire au royaume des brisés, des laissés pour compte, des traumatisés.
Eh oui, car perdre son père ce n’est rien comparé aux victimes de bombardements, aux victimes des tremblements de terre, à cette peur viscérale de sortir de chez soi ou au contraire d’y rester enfermé à jamais, enfoui sous des décombres sans pouvoir en sortir…
Quoique… la souffrance mentale qui en découle et que nous pouvons nous imposer est très similaire, au final.
Resté enfoui sous les décombres de nos pensées… (voir * ci-dessous)
La parole est aux victimes
Et en même temps, qu’est-ce qui a fait que Juliette a ainsi pris la mouche ? Est-ce parce qu’elle n’exprime jamais ce qu’elle ressent ? Est-ce parce qu’elle a fait d’un seul coup jaillir ce qui hurlait au fond d’elle depuis trop longtemps ? Est-ce parce que c’est son unique rocher auquel elle s’agrippe désespérément ? sinon elle coule au milieu de sa propre tempête intérieure ? et qu’il faut du courage, de la ténacité, de la volonté pour se lancer dans les flots déchainés et apprendre enfin à nager ? est-ce SA grande excuse personnelle et sacro sainte ? son refrain habituel pour se démarquer quand d’autres parlent de leurs souffrances ? parce qu’elle, eh bien elle, elle est une VICTIME !!
Or ne l’oublions pas, nous sommes dans une société de la victimisation. La comparaison de surface (je dis de surface car une des plus belles choses qui soit, c’est de savoir faire d’un défaut, une qualité – je m’explique plus loin) et la surenchère en sont donc le moteur permanent, sinon comment pourrait-elle survivre !?
Comprenons bien que cette surenchère existe pour montrer à la face du monde qu’on existe ! Et pourquoi ce besoin de montrer ainsi cette existence, son existence, notre existence ? parce que nous l’étouffons nous-même, la plupart du temps, sous les décombres de nos pensées.*
Toi t’es-toi et unique, sois-en certain
Bien sûr que Juliette est unique, tout comme Anne. Tout comme Élisabeth ! lorsqu’elle passait son temps à répéter à qui voulait l’entendre que elle, son enfance n’avait pas été simple. Que elle, son père lui avait fait subir des violences, que elle, et patati et patalo, jusqu’à l’overdose. Jusqu’à ce qu’elle en ait marre et qu’elle décide enfin de prendre le taureau par les cornes, de prendre sa vie en mains et de passer à autre chose que de larmoyer sur son sort du matin au soir et devant témoins quand c’était possible, ou en guise d’excuses à tout ce qu’elle disait ne pas pouvoir faire, ces choses qu’elle se refusait tout simplement.
Elle aussi avait jouée à la victime ! enfin jusqu’à ce qu’elle décide qu’il devait en être autrement.
S’affirmer tout en étant dans la communication bienveillante
L’humain à ceci de particulier, c’est qu’il aime par-dessus tout qu’on lui parle de lui. De lui au sens de l’être unique qu’il est. Ainsi entendre parler votre voisin, ou votre meilleur ami, de ses histoires, cela va vous intéresser deux secondes et demi et puis vous allez vite lâcher l’affaire. Ou vous allez les détourner à votre profit, ces histoires, c’est à dire que vous allez les mettre à votre sauce personnelle, celle de votre existence à VOUS et plus tout à fait à celle de votre interlocuteur.
Vous allez faire des comparaisons avec vous, avec votre existence, ou des images vont vous venir à l’esprit. Des images de choses que vous avez vécu et qui ressemblent à ce que vous raconte votre voisin ou votre ami. Bref, des trucs qui vous parlent, à vous.
C’est humain.
C’est typiquement le « parlez-moi d’moi y a qu’ça qui m’intéresse » de la chanson de Guy Béart (vidéo en lien ci-contre)
Mais alors, comment faire pour ne pas basculer et rester à l’écoute de l’autre ?
Il faut que ça fasse écho.
Il faut arriver à faire preuve d’empathie et pour se faire, eh bien personnellement je bascule tout de même vers mes propres expériences de la vie qui m’indiquent des scènes ou des moments de vie similaires ou très proches du vécu de mon interlocuteur. Là je peux entrer en empathie. Je sais dans ma chair et mon esprit de quoi il me parle. Cela résonne, cela fait écho en moi. Cela me parle.
Comparer et entrer en empathie
J’ai beau être différente, être unique, je suis aussi passée par des expériences qui me permettent de ressentir ce que l’autre ressent. C’est là que la comparaison est intéressante et constructive, elle permet d’entrer en empathie si l’on fait le choix de ne pas entrer dans le jeu piégé de la surenchère. Cela se travaille, il s’agit de faire du nettoyage par le vide, de faire du tri dans notre existence (voir lien en bas de l’article). On peut ainsi être dans la communication bienveillante tout en étant pleinement soi-même, avec ses propres expériences de vie, son chemin, avec ses connaissances, et en mettant tout cela à l’usage de cet autre qui nous fait face, qui est unique et qui peut nous tomber dessus sans crier gare avec tout son bagage, tout son vécu, toute son histoire.
Et toi, t’es-toi ou toi tais-toi ?
Odile
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